Prostitution : peut on avoir le choix ?

Je lis souvent que les prostitué(e)s sont forcément des victimes, qu'ils (elles) n'ont pas le choix de se prostituer, que bien souvent ils (elles) ont été victimes de violence étant jeunes, que leurs conditions de travail sont immondes, qu'il est quasiment impossible d'en sortir etc...
Les quelques lignes qui suivent sont le reflet de ma propre expérience (contrairement à certaines féministes, notamment les abolitionnistes, qui n'hésitent pas à parler au nom des autres) ni vérité ni simple hypothèse, une "tranche de vie" quoi, très personnelle.

J'ai eu l'occasion, il y a quelques années, de me prostituer, plusieurs occasions même. Et j'ai choisi. J'ai choisi de ne pas me prostituer, j'ai fait ce choix librement, plusieurs fois.

Je n'ai parlé de cette expérience que quelques années après, au début j'étais honteuse, mal à l'aise.
Cela n'est plus le cas, j'assume mes propres actes, cette expérience fait partie de moi, de ce que je suis désormais. Je ne m'en vante pas pour autant, c'est pas le genre d'anecdote que je raconte à tout va. Je pense néanmoins qu'elle est enrichissante (comme d'autres dont je pourrais vous parler plus tard).

J'avais 19 ans, je venais d'arrêter mes études, je squattais chez un ami qui avait la bonté de partager son 20 m², je cherchais du travail, pas vraiment pour prendre un appartement, juste histoire de participer aux frais.

Mon Dieu, si ma mère vient à lire ces lignes ça va lui faire un choc, je lui ai jamais raconté !

Un jour je tombe sur une annonce dans un gratuit "Cabaret cherche barmaid et/ou hôtesse, se présenter...". Mon expérience professionnelle d'alors était faible : serveuse en restaurant, femme de ménage, employée administrative, baby-sitter ; et mon diplôme - un BAC électrotechnique - m'était inutile. Barmaid me semblait à ma portée, "être jolie et pas trop bête suffit" pensais-je.

Me voilà donc en train de pousser la porte de ce Cabaret, malgré les avis de diverses personnes qui m'avaient prévenu : "Bar américain ou cabaret = prostitution". Le bar est sombre, il y a une salle principale, 2 loges et une pièce au fond qui sert de piste de danse avec des canapés tout autour. J'explique à la "tenancière" - Eva - que je viens pour l'annonce de barmaid, elle me répond que ce poste est pourvu mais qu'elle cherche aussi des hôtesses, je lui demande s'il faut se prostituer, elle me répond que c'est formellement interdit, me voilà rassurée. Elle me dit que je peux essayer, me donne ses recommandations, être bien habillée, pomponnée, féminine, sexy. Ma garde robe de l'époque contient tout ce qu'il faut. Eva, me trouve un pseudo, je serais Clara. La rémunération comprenait un fixe de 30 € et 10% sur les verres (ou bouteilles - du champagne de 12 à 200€) offerts par les clients. Les horaires étaient lourds : présence requise de 15h à 3h du matin, mais j'avais besoin de travailler et je ne risquais rien à essayer...

Rendez-vous est pris le lendemain pour mon premier jour de travail. J'arrive quelques minutes en avance, plusieurs jeunes femmes attendent devant la porte, je suis "la nouvelle". Elles sont toutes très sympas, toutes jeunes et belles. Je remarque qu'elles sont pour la plupart en jean et ont apporté leurs affaires dans des sacs.

La journée se passe bien, les quelques clients dont je m'occupe sont des gens charmants, on danse, on boit un verre, on discute. Pas une seule main baladeuse, rien qui puisse me faire douter de la véracité des propos d'Eva. Celle-ci passe plusieurs coups de fil annonçant à des clients qu'elle a une "nouvelle" qui ressemble à Ornella Muti (en fait, elle parle de moi, même si je ne vois toujours pas la ressemblance). Eva est une femme d'une bonne quarantaine d'années, elle est un peu ronde avec une énorme poitrine débordant d'un décolleté profond de chez profond, elle a des ongles très longs d'un rouge criard, elle fait vulgaire et parle fort, mais elle est gentille.
Le bar est quelquefois vide, nous papotons avec les autres filles. Il y a "Perle", qui vient d'Afrique pour faire ses études, ce boulot lui permet de payer ses frais ; "Jade" une magnifique métisse dans la trentaine qui ne parle pas beaucoup ; "Laetitia" qui travaille comme masseuse (des massages un peu spéciaux, comme elle dit) et qui arrive en fin d'après midi au bar, maman d'un petit garçon qu'elle élève seule ; "Fanny" qui vient d'un autre cabaret et qui bosse dans ces bars depuis 2 ans, passant de l'un à l'autre quand elle le souhaite.
Quand un client entre, son hôtesse va le voir, en général, ils aiment bien voir la même fille, sinon, Eva se charge de nous appeler.

A 3 heures du matin, nous faisons les comptes. Le fixe nous est donné le soir même mais le pourcentage lui, est versé le lendemain. J'ai gagné environ 200 € ce jour là, sans me prostituer et en passant d'agréables moments. Je décide de continuer, "entraineuse" c'est pas reluisant mais cela s'est bien passé et je voudrais toucher ma paye.

Le lendemain est déjà bien différent, apparemment, les clients qu'Eva a contacté la veille ont fait le déplacement... Je danse, je bois, je papote avec des hommes. Certains ont une attitude bien plus... avenante. L'un me caresse les cheveux, l'autre danse très (trop ?) près de moi, un autre me demande si j'aime le sexe. Je commence à moins aimer, leur attitude est pressante et n'a rien à voir avec celle des clients de la veille.
Un pépé d'environ 70/75 ans entre, c'est un habitué qui vient tous les 15 jours voir Jade, il est très poli et réservé. Encore une fois, les comptes font apparaitre un gain d'environ 200 €, fichtre, à ce train là, je vais être riche ! Mais, là est le vice, il me faut revenir le lendemain pour les toucher...

J'attaque donc mon 3ème jour d'entraineuse, l'après midi est calme, je discute avec les autres, et j'apprend que certaines se prostituent, or du champ de vision d'Eva mais avec son approbation. l'une masturbe simplement certains de ses clients, l'autre "rabat" (elle prend des rendez-vous qu'elle honore à l'extérieur), une autre les invite à se faire "masser", certaines n'agissent que si leur client le demande. Je sais alors qu'il est probable que l'on me demande d'avoir une relation sexuelle, je sais aussi que je pourrais refuser.

En début de soirée arrive 4 hommes. Eva ferme les portes, ce qu'elle ne fait pas d'habitude, fait sauter plusieurs bouchons de champagne gaiement en s'écriant "et que ça éjacule !". Je ne comprends pas tout à fait ce qui se passe, nous nous installons dans la petite pièce, Perle, Jade et moi, accompagnées de 3 des clients. Les bouteilles se vident, nous dansons, les clients nous disent que nous sommes belles, nous comparent les unes aux autres...

Tout à coup, je sens un mouvement saccadé à côté de moi. Je tourne la tête et voit Jade à genoux en train de faire une fellation à mon voisin de canapé ; face à moi Perle a la jupe relevée et se laisse caresser les cuisses, elle rigole. Mon client est très près de moi, je panique, j'allume une cigarette et prends une coupe de champagne, cela me permet d'occuper et mes mains et ma bouche. Je sens une main toucher ma poitrine et son propriétaire s'adressant à son copain "c'est la mienne qui doit avoir les plus beaux seins", je voudrais m'enfuir, mais je veux attendre la fin de la soirée pour prendre au moins ma thune. J'ai la nausée, je pars aux toilettes. J'ai beaucoup bu, je le sens, j'ai aussi trop fumé.

Je laisse la troupe et vais au bar prendre un verre d'eau. Eva me dit alors de rejoindre le 4ème bonhomme dans une loge. Je suis surprise, il est très beau garçon !
Nous discutons, il me dit que je n'ai rien à faire ici, j'acquiesce. Après ce que je viens de vivre, je ne compte pas venir un jour de plus ! Je lui demande alors ce qu'il fait là, je ne comprends pas, il est beau, bien bâti, il à l'air d'avoir de l'argent. Il me répond qu'il vient ici s'amuser avec ses copains, se détendre de temps en temps, il travaille dur, dans le bâtiment. Je lui explique qu'il n'est pas nécessaire d'aller dans un cabaret pour ça, qu'en discothèque il se ferait draguer et trouverait facilement une jeune femme charmante pour passer un moment. Je lui avoue même que dans d'autres circonstances, j'aurais pu avoir envie d'avoir une relation avec lui. Il est très gentil, il ne me demande rien, nous finissons la soirée à discuter de choses et d'autres, je respire.

Une fois les clients partis, c'est l'heure de faire les comptes. je ne dis rien mais je sais que je ne reviendrais pas. Il me faut trouver un moyen de récupérer l'argent que j'ai gagné, le champagne a coulé à flots ce soir, je peux compter sur un gain de 400 €. J'explique à Eva que je dois payer la facture d'EDF (ce qui est presque vrai), que j'aimerais prendre l'argent de cette soirée en plus de celui de la veille. On négocie, je repars avec une partie de mon salaire seulement.

Je suis déboussolée, j'ai envie de parler à un ami, je me sens sotte, je n'ai rien vu venir, quelle conne ! J'ai envie de pleurer sur une épaule compréhensive et surtout pas de m'entendre dire que je suis bête, ça j'ai besoin de personne pour le savoir.
Je rejoins un ami dans une discothèque, je sais qu'il s'y trouve, je le cherche et quand je le vois, je fonds en larmes. Il ne sait pas ce qui se passe, s'inquiète "on t'a fait du mal ? que t'est-il arrivé ?!" j'arrive à lui raconter, cette journée, ce boulot, tout. Nous partons, il me console et me rassure.

J'ai continué à fréquenter Perle et Fanny pendant des mois. Je les incitais à arrêter, mais elles aimaient bien ce boulot. Elle me disait que j'aurais dû rester avec elles, que les revenus valaient bien quelques attouchements (en 3 jours j'ai gagné plus de 1000 € ! bon, j'en ai touché "seulement" 800) que je pouvais choisir les clients avec qui j'accepterais de faire des trucs et que ça pouvait être marrant si nous étions ensemble. Perle a fini par marier avec un Lyonnais, je ne l'ai jamais revue ; Fanny quant à elle s'est acheté une boutique de fringues qu'elle tient désormais.

Voilà, mon expérience prouve que certaines prostituées le sont par choix, que le manque d'argent ne contraint pas forcément un individu à se prostituer, que la prostitution ne se fait pas exclusivement sur le trottoir, que si les pouvoirs publics souhaitent réellement l'interdire, ils savent qu'ils peuvent visiter les cabarets, que certaines femmes se prostituent un certain temps mais peuvent s'arrêter, que les clients des prostituées ne sont pas uniquement des hommes moches et/ou malsains et/ou dominants, que les "patrons" des prostituées ne sont pas que des macs violents (Eva est bien une femme), que les prostituées ne sont pas toutes des victimes, qu'il existe bien différentes manières de voir et de pratiquer la prostitution...
Un dernier point : pas besoin d'avoir été abusée et/ou traumatisée enfant pour approcher de près le milieu de la prostitution.

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